Proposition de réformes dans les programmes d’Histoire-Géographie

Publié le par Adel TAAMALLI

La philosophie est la recherche de la sagesse par l’accouchement, grâce à un travail de l’esprit, de la vérité. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’éducation, tous les philosophes, au premier chef desquels Alain Finkielkraut ou Michel Onfray, devraient militer pour deux réformes des programmes scolaires que nous allons développer ci-dessous, plutôt que de voir le mal dans le fait que des collégiennes, le plus souvent provenant de familles musulmanes, se refusent, à l’école, à aller à la piscine, par pudeur et honte de montrer leur corps. Ces réformes touchent à l’Histoire et à la géographie, deux matières d’une importance capitale en France (en priorité la première), surtout quand on connaît la tension induite par le présent, à l’heure de la technologie informative de masse, ce qui ne laisse nullement le loisir au citoyen de prendre la distance nécessaire avec les événements, comme le remarque très justement Alain Finkielkraut dans ses nombreuses interventions.

Ces réformes auraient trait à la périodisation et à la cartographie, deux systèmes de lecture complémentaires, car la première permet à chaque écolier de situer le passé par des dates clés et ainsi de comprendre le présent, tandis que la seconde l’aide à imager le monde tel qu’il est, dans laquelle il peut, en fonction de sa position et de sa taille, insérer la France relativement à la réalité géographique de notre planète. Ce sont donc deux systèmes qui permettent à la pensée d’un élève de s’approcher de la vérité, et donc de façonner son rôle futur de citoyen, l’un des buts officiels de l’Éducation Nationale1. Or, ceux-ci égrainent des erreurs et des faussetés. Nous aimerions entendre les penseurs sur ces deux réformes. Il faut donc les exposer.

La périodisation

Les programmes scolaires en Histoire se basent traditionnellement sur une périodisation élaborée par le prisme occidental de l’Histoire. En effet, quasiment toutes les dates retenues pour marquer les césures d’une période à l’autre sont liées à l’histoire occidentale. La fin de l’Empire romain en 476, la Découverte de l’Amérique en 1492 ou bien la Révolution française de 1789, sont des dates clés que tout écolier de France doit considérer comme autant de marqueurs de changement d’époque2. Ainsi, l’on parle d’Antiquité, de Moyen Âge, de Temps Modernes et d’Époque Contemporaine.

Or la France étant aujourd’hui insérée dans la mondialisation, c’est cette dernière que nous devrions prendre comme le prisme principal par lequel nous façonnerions la périodisation de notre passé. Car, quel autre phénomène historique que celui de la mondialisation pourrait caractériser au plus haut point notre époque, lorsque l’on sait l’évolution inéluctable qu’elle imprimera de manière irrémédiable sur le fait humain dans son ensemble (politique, religion, sociétés, économie, culture…) ?

Aussi arbitraire que soit la périodisation dans le jugement qu’elle implique de notre passé, puisqu’elle marque des césures censées être révolutionnaires (comme si tous les contemporains de cet événement prenaient naturellement conscience d’entrer dans une nouvelle époque), nous ne pouvons faire autrement que de synthétiser notre passé afin de le rendre intelligible et compréhensible.

Au vu du fait que la mondialisation n’ira qu’en s’accroissant à mesure que le temps passera, il est fort à parier que nos écoliers doivent prioritairement en comprendre les spécificités pour réellement mesurer leurs contextes de vie. C’est pourquoi la périodisation occidentale n’est pas satisfaisante. C’est la raison pour laquelle je soumets à la critique la périodisation suivante sur laquelle j’aimerais entendre les philosophes français. La défendraient-ils ou n’y verraient-ils qu’une attaque contre la France qui ferait, encore une fois, acte de repentance à adopter cette périodisation dans le cadre de l’apprentissage scolaire de l’Histoire ?

Une proposition de la périodisation de la mondialisation :

  • L’Antiquité commence bien évidemment par l’apparition de l’écriture, ce moment révolutionnaire qui a permis à l’homme de commencer une accumulation capitalistique phénoménale et inouïe de la connaissance. Mais elle devrait se terminer à la mort du Prophète Muhammad (PBSL) en 632. Car cet événement marque, pour notre histoire commune, la fin de la mise au jour d’idées, de concepts, de croyances, à la base de presque tous les événements ultérieurs d’importance. Ces idées, ces concepts, ces croyances, résident dans les systèmes suivants : l’hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme, le taoïsme, les monothéismes (le judaïsme, le christianisme, l’islam), la philosophie grecque et hellénistique, le droit romain et l’idée de République. C’est pourquoi l’on devrait appeler cette époque l’Âge des matrices.
  • Ensuite, à la place du Moyen Âge, nous privilégierions plutôt une autre dénomination pour cette époque qui succéderait à l’Âge des matrices. Ce serait l‘Âge des spécialisations. En effet, tant sur le plan de la pensée et de la religion que sur celui de la « couleur géographique » du monde et de son évolution politique, ces dix siècles qui vont de 632 à 1701 (voir ci-dessous pour comprendre la raison du choix de 1701 comme date de début de la période suivante) sont ceux de la mise en place des aires spécifiques du monde, que nous appelons civilisations. Les grandes civilisations de notre monde actuel (l’Occident, le monde chrétien orthodoxe, l’Asie orientale, l’Inde, l’Islam)3 tirent leur source de cette spécialisation et continuent de jouer actuellement un rôle considérable grâce aux vecteurs permis par la mondialisation (communication, transport, économie mondiale intégrée, gouvernance internationale). À l’intérieur de cette deuxième grande période de l’histoire, la date de 1492 marque une césure indéniable, puisqu’elle est le moment durant lequel l’Occident gagne, seul, une « conscience-monde », tout en marquant le début d’une époque de spécialisation occidentale poussée liée à la Renaissance, à la Révolution copernicienne, à l’apparition du protestantisme et de son adversaire la Contre-Réforme, à l’absolutisation des régimes politiques européens, à la mise en place du système westphalien dans les relations internationales.
  • Nous faisons débuter à 1701 la troisième période, qui est l’Âge de l’Occidentalisation du monde, du nom du processus indispensable à ce que nous connaissons aujourd’hui de la mondialisation. Pourquoi 1701 ? Car cette date marque le déclenchement de la première guerre se jouant véritablement à l’échelle mondiale, la guerre de Succession d’Espagne. C’est à partir de là que s’enchaîne un certain nombre de conflits qui ont pour théâtre plusieurs points du monde mais qui naissent tous en Europe. Il s’agit de guerres occidentales à échelle mondiale, avec pour but ultime, pour les grandes puissances y participant, l’hégémonie mondiale qui passe, pour les belligérants, par la domination de l’Europe. La Guerre de Succession d’Espagne, la Guerre de Succession d’Autriche, la Guerre de Sept Ans, les Guerres de la Révolution et de l’Empire, la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, et la Guerre froide, sont ces conflits durant lesquels les grandes puissances se sont affrontées dans le cadre de grandes coalitions. Les batailles faisaient rage en Europe aussi bien que dans des théâtres d’opérations mondiaux, tout en ayant des incidences sur l’histoire d’une partie du monde extra-occidental en plus de l’Occident lui-même. Concomitamment, l’on assiste à une domination progressivement mondiale du monde par l’Europe (notamment par la colonisation), puis par deux de ses successeurs, les États-Unis et l’URSS. Pendant cette longue période, ont eu lieu deux grandes révolutions accroissant le pouvoir de l’Occident. Ce sont celles des Lumières et celle que l’on nomme industrielle (en deux, voire trois volets, selon les auteurs). Des États comme l’Empire Ottoman, le Japon impérial, la Russie (puis l’URSS), et la Chine communiste, bien que non occidentaux, se sont insérés dans cette lutte pour l’hégémonie. C’est qu’ils étaient admis au concert des nations dont le concept est né du système westphalien. Et ils ont adopté des idées et théories provenant d’Occident (Tanzimat, Ère meiji, l’action de Pierre le grand, le communisme), les légitimant dans cette lutte. L’Âge de l’Occidentalisation du monde se terminerait par l’éclatement de l’URSS, en 1991.
  • 1991-2001 : l’Intermède de l’Hyperpuissance américaine. Ce concept créé par Hubert Védrine « colle » très bien à l’époque. Les États-Unis, sortis victorieux de la Guerre froide, se sentent être les gendarmes du monde. Ils sont la seule grande puissance à pouvoir projeter leurs forces militaires n’importe où dans le monde. On assiste à une américanisation du monde. La première puissance économique mondiale semble s’accommoder d’une « pax americana ».
  • À partir de 2001 : L’Âge de la Mondialisation « multilatéralisante ». Il est normal de conclure que les attentats de New York et de Washington de 2001 marquent une nouvelle prise de conscience de lui-même par le monde. Les États-Unis ne sont pas infaillibles. Ils ne sont surtout pas la seule puissance mondiale. L’Europe, la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde, le Brésil jouissent d’une puissance de plus en plus considérable. L’on parle à l’ONU d’intégrer de nouveaux membres permanents au Conseil de sécurité, afin de mieux refléter la nouvelle distribution de puissance dans le monde. La mondialisation semble de plus en plus « intégratrice ». Ici ou là, l’on parle même d’une réelle gouvernance mondiale, même si l’effectivité de ce régime politique semble très loin de notre présent…

Nous avons présenté succinctement ce que serait une périodisation se faisant à l’aune de la mondialisation. Nous ne pouvons être exhaustifs du fait du cadre limité de cet article, mais aussi parce qu’il est impératif de posséder une somme de connaissances suffisante pour se lancer dans une mise au jour véritable d’un tel paradigme. Cependant, les philosophes français, s’ils souhaitent défendre l’école, ne peuvent que se positionner en faveur d’une telle perspective de pensée, qui est celle d’intégrer dans l’apprentissage de l’Histoire une périodisation vraie, c’est-à-dire faisant prendre conscience aux enfants le fait qu’ils vivent dans une époque inédite, caractérisée par la mondialisation.

La cartographie

L’un des problèmes de la cartographie présente dans un certain nombre de lieux où l’on est confronté à elle (la télévision, les journaux, l’école), réside dans le fait qu’elle ne reflète pas la vraie place de la France dans le monde. Ainsi, l’école française utilise la carte faite sous projection de Mercator4, système de cartographie du monde qui agrandit les zones éloignées de l’Équateur, tandis qu’il minimise celles qui en sont proches. C’est pourquoi, alors que Madagascar est en réalité deux fois plus grand que la Grande Bretagne, ces deux îles apparaissent sur une telle carte quasiment identiques du point de vue de la superficie. De même, l’Inde, qui est pourtant grande comme six fois la France métropolitaine, ne représente sur ce même type de cartes pas plus de deux fois l’Hexagone.

Or, même si la carte sous projection de Mercator reste avantageuse pour les navigateurs car ses dessins des côtes sont conformes aux angles qu’ils dessinent dans la réalité, si l’on souhaite que nos écoliers prennent réellement conscience de ce qu’est le monde, et donc qu’ils connaissent la vérité sur celui-ci, nous ne pouvons passer outre le fait que cela doit passer par l’adoption d’une nouvelle cartographie pour constituer la base des cartes affichées sur les murs des salles de classe. L’on pourrait, par exemple, utiliser la carte du monde selon la projection de Peters5, beaucoup plus juste car rendant compte des véritables différences de dimension entre les zones géographiques. L’on verrait alors comment l’Afrique (qui représente en réalité l’Inde, la Chine, les États-Unis, l’Europe et le Japon réunis) est beaucoup plus longue, du Nord au Sud, que ne le laisserait supposer une carte sous projection de Mercator. Comme pour la périodisation, nous aimerions savoir ce qu’en pensent les philosophes. Ainsi, plutôt que de dénoncer, dans son dernier ouvrage (L’identité malheureuse), le fait que dans l’école primaire de son enfance, à laquelle il a rendu visite en 2009, il y avait trouvé une carte du monde sur laquelle étaient épinglées les photographies des élèves sur l’endroit où était dessiné leur pays d’origine, nous aurions aimé savoir d’Alain Finkielkraut si cette carte utilisait la projection de Mercator, celle de Peters, ou une autre. Si ce philosophe s’emparait du sujet, chercherait-il à ce que les élèves prennent connaissance de la vérité ou préfèrerait-il que la projection de Peters, pourtant plus proche de la réalité, soit mise de côté pour ne pas affecter la France, ni l’idée qu’il s’en fait, ni même a fortiori la conception de l’identité française qu’il défend ?

Conclusion

Ces propositions de réformes visent le juste, c’est-à-dire le mode par lequel les élèves devraient prendre connaissance de la vérité de leur monde. Nous attendons donc des intellectuels qu’ils les prennent à leur compte et les soumettent au débat.

Texte publié le 9 février 2015 sur contrepoints.org :

http://www.contrepoints.org/2015/02/09/196981-proposition-de-reformes-dans-les-programmes-dhistoire-geographie

  1. L’histoire, la géographie et l’éducation civique ont pour but, selon le programme officiel de l’Éducation nationale, de « se constituer des références culturelles pour mieux se situer dans le temps, dans l’espace, dans un système de valeurs démocratiques et devenir un citoyen responsable ». Voir site internet de l’Éducation Nationale.
  2. Évidemment, ces dates sont importantes à connaitre et doivent absolument être enseignées.
  3. Dont les civilisations ont eu et auront indéniablement plus d’impact dans l’Histoire que celles provenant d’Afrique subsaharienne ou d’Amérique précolombienne, ce qui ne veut pas dire que l’apprentissage de l’histoire de ces deux dernières ne serait pas intéressant en soi.
  4. Voir l’article de Wikipedia, consacré à la projection de Mercator.
  5. Voir l’article de Wikipedia, consacré à la projection de Peters.
Proposition de réformes dans les programmes d’Histoire-Géographie

Publié dans Vivre-ensemble, Engagement

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article